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les Jeunes Vignerons cartographient les terroirs alsaciens

La carte dans laquelle votre attention s’apprête à plonger est issue de quatre années de travail rigoureux. Il est aussi à la genèse de notre groupe : en effet nous avons ressenti le besoin de montrer où se trouvent les lieux que nous revendiquons sur les étiquettes. Nous avons alors imprimé des cartes préliminaires village par village ne représentant que le cadastre viticole.

Les cartes préliminaires ont demandé un an de travail car il a fallu les créer de toute pièce en fonction des données à notre disposition. Organisé en parcelle et section nous avons donc pu, au crayon, tracer les limites des Crus en usage. Notre ambition est de délimiter les crus avec une précision à la parcelle, c’est à dire à la borne. Cela nous a demandé beaucoup de minutie dans la compilation des données.

Chacun des membres de notre groupe s’est donc muni des cartes de son village et de ceux mitoyens, puis est allé frapper aux portes des voisins vignerons, des représentants des syndicats viticoles voire des anciens qui eux, parfois, savent quel endroit était vinifié seul pour la singularité de ses vins.

Ce travail a duré deux ans, et n’est toujours pas terminé. On peut en effet considérer comme acceptable qu’il faille ajouter des lieux-dits oubliés, des usages immémoriaux dont on se souviendrait fortuitement ou grâce à des recherches historiques, ou encore qu’il faille préciser une limite. Après cela nous avons arrangé ces données pour créer la carte que vous allez voir. La question de la lisibilité est importante et vous verrez que nous avons pris le parti de décliner les couleurs du plus foncé pour les Grands Crus au plus clair pour l’AOC. Cette partie nous a demandé encore un an de travail. Elle donne ainsi à voir les usages vignerons contemporains en Alsace. Non pas en termes de choix culturaux, mais en termes d’ambition ; l’ambition d’un (ou de plusieurs) vignerons de porter sur l’étiquette le nom de l’endroit, du lieu sur lequel a poussé sa vigne.

Vous verrez ainsi que les lieux-dits revendiqués par les vignerons sont nombreux, de tailles diverses et répartis, sinon de façon homogène, au moins du nord au sud de la cote viticole. Ce travail trouve là sa légitimité : il donne à voir d’en haut la multitude de ces petits gestes qui font d’un vin ordinaire un vin unique marqué par son terroir. Ces petits gestes, imagés ici, nous font remonter le temps de la culture alsacienne et nous invitent à la découverte de notre patrimoine immanent et néanmoins commun.

Il nous faut enfin remercier l’ensemble des vignerons pour leur engagement de long terme sur ce projet ; Sylvain Perot-Minot pour son aide à la création des cartes préliminaires ; Jean Eichholtzer  pour son concours
déterminant à la lisibilité du travail définitif.

Bon voyage
Le Groupe Jeune

Atlas Cartographique des crus viticoles alsaciens.

Cette carte est évolutive, et donc destinée à être corrigée et complétée en fonction de vos remarques, n’hésitez pas à nous les transmettre.

Villages, cépages et terroirs

L’histoire du vignoble d’Alsace constitue une source inépuisable pour observer l’évolution de la notion de qualité du vin au cours des siècles. Comment se déterminait la qualité d’un cru aux époques médiévale et moderne ?  Le Hofmiedt, grille tarifaire en cours au Ladhof de Sélestat, en 1521, mérite d’être rappelé. Pour un foudre, les vins de Riquewihr, Ribeauvillé, Bergheim sont taxés seize pfennig. Ceux d’Ammerschwihr, Kaysersberg, Saint-Hippolyte, Barr sont taxés douze pfennig. Ceux enfin de Turckheim, Niedermorschwihr, Kientzheim, Sigolsheim, Bennwhir, Mittelwhir, Beblenheim, Zellenberg, Hunawhir, Rorschwihr, Rodern, Orschwiller, Châtenois, Scherwiller, Dambach, Diefenthal, Blienschwiller, Nothalten sont taxés six pfennig. Le vin provient d’une localité et la grille établit, à un moment donné, une hiérarchie ou un classement. De toute manière, chaque commune se persuade de produire le meilleur vin, ce qui relève d’une stricte logique commerciale : vendre son vin puisque c’est le meilleur ; ne pas acheter celui des autres, puisqu’il est moins bon. Ce protectionnisme de l’époque s’apparente à un ancêtre de l’A.O.C.

Pour l’œnophile et l’amateur des vins d’Alsace, grande est la surprise lorsqu’il s’intéresse à l’ampélographie historique. Le maire de Molsheim, en 1829, évoque, par exemple, le hinsch, le rheinelb, le riesling, le grau klebner, l’oberlaender. A Wasselone, en 1854, on cite le kleinedel dit knipperlé, le sussling, le velteliner et le rouge. Un ratissage au niveau de la région aboutit à deux cents noms de cépages ! Et dans ce lot impressionnant en subsistent seulement une vingtaine dans l’ordonnance de 1945, signée par Charles de Gaulle en personne. L’Alsace quitte désormais son vieux monde de Kayserberger ou d’Ingersheimer pour entrer dans le monde de l’ampélographie, seule région de France à obtenir cette législation. Depuis cinquante ans, des évolutions ont été relevées : le tokay, planté mais peu planté au début, connaît une fulgurante ascension, que son changement de   nom en pinot gris n’entrave pas. En revanche le knipperlé constitue de nos jours une rareté curieuse, alors que le muscat vivote.

L’apparition récente du mot riesling, entre autres, dans d’autres vignobles mondiaux bouleverse néanmoins la donne. Riesling n’est plus synonyme d’Alsace. La signature se dilue pour s’évanouir. Le recours à l’histoire fournit, encore et toujours, un nouvel éclaircissement. Depuis toujours, les hommes ont affirmé que certaines terres donnaient un vin meilleur que d’autres. Citons seulement le maire de Ribeauvillé en 1829 : « Parmi les vins exquis, il y en a d’une qualité supérieure, mais en petite quantité ! A Ribeauvillé, il y a deux cantons dit Zahnacker et Trottacker… A Bergheim, il y a le canton dit Kantzelberg…Presque dans chaque commune, il y a un petit canton, lequel à raison de l’exposition et du sol produit un vin d’une qualité supérieure aux autres. »

C’est fort de cette autre certitude historique que de jeunes vignerons contemporains ont entrepris une investigation évidente dans le monde des terroirs, jusqu’ici bizarrement oublié par la cartographie. Travail colossal, où les heures de travail ne se comptent pas, pour aboutir à une visualisation de l’excellence au bout d’une exigence : se réapproprier l’identité du vin d’Alsace de grande renommée.

Claude Muller
Professeur à l’Université de Strasbourg
Directeur de l’institut d’histoire d’Alsace