les Jeunes Vignerons cartographient les terroirs alsaciens
La carte dans laquelle votre attention s’apprête à plonger est issue de quatre années de travail rigoureux. Elle fait aussi partie de la genèse de notre groupe : en effet nous avons ressenti le besoin de montrer où se trouvent les lieux présentés sur les étiquettes et qui déterminent la typicité des vins qui en sont issus.
A partir du cadastre viticole nous avons voulu tracer avec précision la limite des crus en usage. Chaque membre de notre groupe, muni de ces cartes est allé recueillir auprès de ses voisins vignerons, des représentants des syndicats viticoles et des aînés, le détail des lieux dont la singularité mérite une vinification isolée.
Ce travail, évolutif car lié aux usages actuels, pourrait aussi être complété par la représentation des lieux-dits oubliés, des usages immémoriaux dont on se souviendrait fortuitement grâce à des recherches historiques, ou encore par des précisions nécessaires.
Nous avons choisi de vous présenter une image claire des usages des vignerons alsaciens contemporains. Non pas en termes de choix culturaux, mais en termes d’ambition ; l’ambition des vignerons de porter sur leurs étiquettes le nom des lieux sur lesquels ont poussé leurs vignes.
Vous verrez ainsi que les lieux-dits revendiqués par les vignerons sont nombreux, de tailles diverses, et répartis du nord au sud de la cote viticole. Ce travail trouve là sa légitimité : il donne à voir d’en haut la multitude de ces petits gestes qui font d’un vin ordinaire un vin unique marqué par son terroir. Ces petits gestes, imagés ici, nous font remonter le temps de la culture alsacienne et nous invitent à la découverte de notre patrimoine immanent et néanmoins commun.
Il nous faut enfin remercier l’ensemble des vignerons pour leur engagement de long terme sur ce projet, Sylvain Perot-Minot pour son aide à la création des cartes préliminaires, Jean Eichholtzer pour son concours déterminant à la lisibilité du travail définitif.
Bon voyage
Le Groupe Jeune
Atlas Cartographique des crus viticoles alsaciens.
Cette carte est évolutive, et donc destinée à être corrigée et complétée en fonction de vos remarques, n’hésitez pas à nous les transmettre.
Villages, cépages et terroirs
L’histoire du vignoble d’Alsace constitue une source inépuisable pour observer l’évolution de la notion de qualité du vin au cours des siècles. Comment se déterminait la qualité d’un cru aux époques médiévale et moderne ? Le Hofmiedt, grille tarifaire en cours au Ladhof de Sélestat, en 1521, mérite d’être rappelé. Pour un foudre, les vins de Riquewihr, Ribeauvillé, Bergheim sont taxés seize pfennig. Ceux d’Ammerschwihr, Kaysersberg, Saint-Hippolyte, Barr sont taxés douze pfennig. Ceux enfin de Turckheim, Niedermorschwihr, Kientzheim, Sigolsheim, Bennwhir, Mittelwhir, Beblenheim, Zellenberg, Hunawhir, Rorschwihr, Rodern, Orschwiller, Châtenois, Scherwiller, Dambach, Diefenthal, Blienschwiller, Nothalten sont taxés six pfennig. Le vin provient d’une localité et la grille établit, à un moment donné, une hiérarchie ou un classement. De toute manière, chaque commune se persuade de produire le meilleur vin, ce qui relève d’une stricte logique commerciale : vendre son vin puisque c’est le meilleur ; ne pas acheter celui des autres, puisqu’il est moins bon. Ce protectionnisme de l’époque s’apparente à un ancêtre de l’A.O.C.
Pour l’œnophile et l’amateur des vins d’Alsace, grande est la surprise lorsqu’il s’intéresse à l’ampélographie historique. Le maire de Molsheim, en 1829, évoque, par exemple, le hinsch, le rheinelb, le riesling, le grau klebner, l’oberlaender. A Wasselone, en 1854, on cite le kleinedel dit knipperlé, le sussling, le velteliner et le rouge. Un ratissage au niveau de la région aboutit à deux cents noms de cépages ! Et dans ce lot impressionnant en subsistent seulement une vingtaine dans l’ordonnance de 1945, signée par Charles de Gaulle en personne. L’Alsace quitte désormais son vieux monde de Kayserberger ou d’Ingersheimer pour entrer dans le monde de l’ampélographie, seule région de France à obtenir cette législation. Depuis cinquante ans, des évolutions ont été relevées : le tokay, planté mais peu planté au début, connaît une fulgurante ascension, que son changement de nom en pinot gris n’entrave pas. En revanche le knipperlé constitue de nos jours une rareté curieuse, alors que le muscat vivote.
L’apparition récente du mot riesling, entre autres, dans d’autres vignobles mondiaux bouleverse néanmoins la donne. Riesling n’est plus synonyme d’Alsace. La signature se dilue pour s’évanouir. Le recours à l’histoire fournit, encore et toujours, un nouvel éclaircissement. Depuis toujours, les hommes ont affirmé que certaines terres donnaient un vin meilleur que d’autres. Citons seulement le maire de Ribeauvillé en 1829 : « Parmi les vins exquis, il y en a d’une qualité supérieure, mais en petite quantité ! A Ribeauvillé, il y a deux cantons dit Zahnacker et Trottacker… A Bergheim, il y a le canton dit Kantzelberg…Presque dans chaque commune, il y a un petit canton, lequel à raison de l’exposition et du sol produit un vin d’une qualité supérieure aux autres. »
C’est fort de cette autre certitude historique que de jeunes vignerons contemporains ont entrepris une investigation évidente dans le monde des terroirs, jusqu’ici bizarrement oublié par la cartographie. Travail colossal, où les heures de travail ne se comptent pas, pour aboutir à une visualisation de l’excellence au bout d’une exigence : se réapproprier l’identité du vin d’Alsace de grande renommée.
Claude Muller
Professeur à l’Université de Strasbourg
Directeur de l’institut d’histoire d’Alsace